GERMAINS ORIENTAUX (archéologie et art)

GERMAINS ORIENTAUX (archéologie et art)
GERMAINS ORIENTAUX (archéologie et art)

L’expression «Germains orientaux» a été adoptée par les linguistes pour désigner les peuples germaniques de l’Antiquité dont la langue se différenciait, d’une part, de celle des Germains occidentaux de la Rhénanie, de l’Elbe et de la mer du Nord et, d’autre part,
de celle des Germains septentrionaux de Scandinavie. Les reconstitutions linguistiques permettent de compter notamment au nombre des Germains orientaux les Goths, les Vandales, les Burgondes, les Gépides, les Hérules, les Ruges, les Bastarnes et les Skires. La séparation linguistique entre Germains se serait produite vers 400 avant J.-C. Néanmoins, on ne discerne réellement de cultures archéologiques propres aux Germains orientaux qu’à partir de l’époque romaine.

L’époque romaine (Ier-IVe s.)

Pline et Tacite ont décrit la Germania , vaste territoire compris entre la Rhénanie à l’ouest et le bassin de la Vistule et les Carpates à l’est. Ils distinguaient trois principaux groupes de Germains: en Rhénanie, ceux qu’ils appellent «les fils du dieu Mannus», dans la région de l’Elbe, les Suèves et, enfin, à l’est, les Vandilii. Selon l’archéologue allemand Rolf Hachmann, ces trois groupes de tribus constituaient des lignes cultuelles chacune dotée d’un panthéon particulier et correspondant à trois zones de pratiques funéraires différentes. R. Hachmann localise les Vandilii dans la région de l’Oder-Vistule, et il y a tout lieu de penser qu’ils coïncident avec les Germains orientaux connus des linguistes. L’analyse des textes montre que le groupe des Vandilii comprenait plusieurs peuples, en particulier les Goths et les Burgondes. Or les recherches archéologiques attestent effectivement, dans la région de l’Oder-Vistule en Pologne, la présence à l’époque romaine de plusieurs cultures archéologiques très proches: celles de Przeworsk, de Wielbark, de Luboszyce et du groupe de Debczyno (carte). Ces cultures, si elles se distinguent par certains détails dans les pratiques funéraires, par les types d’objets qui les caractérisent (appelés «fossiles directeurs» d’une culture), possèdent également de nombreux traits communs qui témoignent de la similitude de leur développement social et économique et de leurs liens culturels. Certaines de ces cultures peuvent avoir une origine non germanique (en particulier celle de Przeworsk) ou montrer de fortes influences étrangères (notamment celtiques), mais leur attribution ethnique est déterminée par le fait que leurs contemporains, selon les auteurs anciens, considéraient les peuples qui vivaient sur ces territoires comme des Germains. Outre ces cultures archéologiques de l’Oder-Vistule, les Germains orientaux sont probablement aussi représentés plus au sud, au début de l’époque romaine, dans les bassins du Danube inférieur et du Dniestr. On y a en effet découvert la culture de Poiene ずti-Lukaševka qui offre de nombreuses ressemblances avec d’autres cultures germaniques. On peut l’attribuer, en partie au moins, aux Bastarnes, Germains mentionnés par les sources écrites au sud de l’Europe orientale.

Les Germains orientaux de l’époque romaine ont laissé deux sortes de sites: des nécropoles et des habitats non fortifiés qui se répartissent de façon très inégale à l’intérieur des frontières des cultures mentionnées. On les découvre en effet sur des territoires relativement restreints, appartenant sans doute à de petites communautés, et séparés par des espaces vides.

Les nécropoles relèvent généralement du type dit «champs de sépultures», car elles ne sont signalées de nos jours par aucun aménagement visible à la surface du sol. Les incinérations, avec ou sans mobilier, peuvent avoir été déposées dans les urnes, en pleine terre, ou encore dans des fosses, et dans ce cas elles sont surmontées d’aménagements en pierre. Les inhumations habillées en pleine terre sont généralement accompagnées d’offrandes. La proportion de ces diverses pratiques funéraires varie selon les cultures. Celle de Przeworsk se caractérise par la prédominance des incinérations sur les inhumations et par la coutume de déposer des armes dans les tombes. En revanche, dans la culture de Wielbark, les inhumations sont plus nombreuses (pl. 1, 30) et l’on n’a jamais mis au jour d’armes à côté des défunts. Les pratiques funéraires évoluent également avec le temps: si durant presque toute l’époque romaine les tombes individuelles sont la règle, au IVe siècle on observe, notamment dans les cultures de Przeworsk et de Luboszyce, des nécropoles sur lesquelles les restes osseux incinérés forment une surface continue, sans que l’on puisse isoler de tombes individuelles. D’autre part, certaines particularités attestent l’apparition, parmi les Germains orientaux, de nouveaux groupes de population. Ainsi, les nécropoles à tumulus (tertres en terre et en pierre) de la culture de Wielbark en Poméranie témoignent de l’arrivée de groupes issus de Scandinavie, certainement des Goths. Dès le Ier siècle, les Germains orientaux ont laissé des tombes «princières». Celle du type Lübsow ont livré un riche mobilier avec de nombreux objets d’importation romaine (notamment de la vaisselle métallique); elles sont installées sous des tumulus. Aux IIe-IVe siècles, la plupart des tombes princières ne sont plus surmontées de tumulus.

Les Germains orientaux de l’époque romaine vivent dans des villages non fortifiés. Les bâtiments, construits au niveau du sol ou à sol excavé, possèdent des murs édifiés avec une armature en bois ou entièrement bâtis en argile. Les maison d’habitation se caractérisent par la présence de foyers ouverts. Certaines maisons, de grande taille et séparées en deux parties (pl. 1, 31), étaient destinées à abriter à la fois les hommes et les animaux (à Wólka Lasiecka, site de la culture de Przeworsk, par exemple). Certains villages, de dimensions particulièrement importantes, ont livré un matériel très riche et abondant. Ils servaient probablement de résidences princières.

On connaît bien la culture matérielle des Germains de l’époque romaine. La céramique, exclusivement façonnée à la main jusqu’au IIIe siècle, est représentée par des récipients ovoïdes ou carénés à décor gravé et en relief (pl. 1, 1, 2, 8, 13, 17, 22). À partir du IIIe siècle, la céramique tournée, fabriquée selon des traditions romaines provinciales, devient de plus en plus abondante (pl. 1, 23-24). Les objets en métaux non ferreux (le plus souvent en bronze ou en argent) sont surtout réservés aux accessoires vestimentaires, en particulier aux fibules de types très divers (pl. 1, 7, 12, 15, 19, 25-27). On a également découvert des outils et de nombreuses armes en fer ainsi que des éléments de harnachement (pl. 1, 3-6, 9, 10, 14). Les sites des Germains orientaux ont livré, d’autre part, des objets en os, en particulier des peignes (pl. 1, 18, 20), en ambre (perles et pendentifs; pl. 1, 16) et en verre (récipients, en majorité importés, et perles; pl. 1, 21).

Les données fournies par l’archéologie montrent que l’agriculture et l’élevage du bétail constituent les principales activités des anciens Germains. On a mis au jour sur les habitats des grains de céréales (seigle, blé, orge, millet, avoine et sarrasin), ainsi que des os d’animaux domestiques (bœufs, chevaux, porcs, chèvres et moutons). Des outils agricoles et les moules en pierre sont également présents. Les techniques agricoles semblent d’ailleurs assez développées comme en témoigne la découverte fortuite, sous un tumulus de la culture de Wielbark, d’un ancien sol qui porte des traces de labourage croisé. La dispersion des sites s’explique certainement par le caractère extensif des cultures. Dans le domaine de l’artisanat, on remarque que certaines productions, comme le fer et, à partir du IIIe siècle, la céramique tournée, sont exécutées dans des centres appropriés (par exemple à Gory Swietokrzyskie dans les Carpates pour le fer et Igolomia-Zofipole en Silésie pour la céramique). La découverte de tombes d’artisans, notamment de forgerons (à Wesólki, site de la culture de Przeworsk, par exemple), montre l’existence d’une spécialisation professionnelle. Le commerce joue, dans l’économie, un rôle non négligeable. La vaste diffusion des objets fabriqués dans les centres artisanaux, et le nombre considérable d’objets d’importation romaine (vaisselle métallique, armes, récipients en verre) permettent de le penser. La «route de l’ambre», qui relie la frontière romaine sur le Danube moyen à la côte de la mer Baltique en passant par les Carpates et la Vistule, tient à cet égard une place essentielle dans l’acheminement des importations romaines chez les Germains orientaux.

Les fouilles des nécropoles et des habitats correspondant à l’époque romaine ne permettent pas, en règle générale, d’établir de distinction entre les différentes tombes et maisons. Les très rares tombes et habitats princiers mis à part, elles n’attestent donc pas une hiérarchisation de la population. L’archéologie confirme en cela le témoignage des auteurs anciens pour qui les Germains orientaux de l’époque romaine étaient des hommes libres.

Aux Ier et IIe siècles, les Germains orientaux sont scindés en de nombreuses petites tribus, et leur aristocratie cumule alors des fonctions sacrales, politiques et militaires. Elle a laissé les riches tombes du type Lübsow mentionnées plus haut, toujours éloignées les unes des autres et que l’on doit certainement considérer comme les sépultures des chefs de tribus.

À partir du IIe siècle, pour des raisons qui demeurent obscures, la structure sociale des Germains orientaux évolue considérablement: les anciennes tribus se regroupent pour former des fédérations de peuples. On observe alors une nette militarisation de la population, ce dont témoigne la multiplication des tombes de guerriers (en particulier dans la culture de Przeworsk). Simultanément, on constate une réorganisation de l’aristocratie tribale qui se traduit, dans le domaine de l’archéologie, par la disparition des tombes du type Lübsow et l’apparition de sépultures moins dispersées, du type Leina-Hassleben. Ce ne sont plus les tombes d’une aristocratie sacralisée mais celles de simples chefs militaires. On peut même qualifier les tribus des Germains orientaux de la fin de l’époque romaine, en particulier celles des cultures de Wielbark et de Przeworsk, de véritables «démocraties militaires».

D’autre part, les sources écrites mentionnent, à partir du IIe siècle, l’expansion d’une partie des Germains orientaux (notamment des Goths, des Gépides, des Hérules et des Vandales) au nord de la mer Noire et dans la région du Danube moyen. On note effectivement alors la diffusion de traits (objets et coutumes), et même de sites entiers, caractéristiques de la culture de Wielbark en Russie méridionale et en Roumanie, et d’autres, issus de la culture de Przeworsk, en Hongrie, Moravie et Slovaquie. Ces migrations marquent une nouvelle période dans l’histoire des Germains orientaux, car ils entrent alors en contact direct avec la civilisation antique et avec des peuples qu’ils ne connaissaient pas auparavant: les Sarmates, les Slaves et les Géto-Daces. Parallèlement aux cultures de Przeworsk, Wielbark, Debczyno et Luboszyce, qui continuent à exister plus au nord, de nouvelles cultures archéologiques composites apparaissent alors sur les terres conquises. Celle de face="EU Caron" アernjahov, attestée à partir de la première moitié du IIIe siècle sur une très vaste zone en Russie méridionale et en Roumanie, doit être, sans équivoque, mise en relation avec les Germains orientaux. En effet, elle résulte de la synthèse de traits issus des cultures de Wielbark et de Przeworsk et d’autres relevant de cultures locales de l’époque antérieure. La culture de face="EU Caron" アernjahov a laissé de grandes nécropoles du type champs de sépultures (Tirg ずor, Dan face="EU Caron" カeny, Kosanovo, Kompanijcy) et des habitats non fortifiés (Budešty ou Ia ずi-Nicolina). Ces sites offrent à peu de chose près les mêmes caractéristiques que ceux des cultures plus anciennes des Germains orientaux, mais ils s’en distinguent cependant par l’influence beaucoup plus sensible des provinces romaines. En outre, l’économie présente un caractère nettement plus développé. Le territoire occupé par la culture de face="EU Caron" アernjahov permet de l’attribuer à la fédération politique et militaire connue par sources écrites de tribus germaniques et non germaniques dirigées par les Goths. Cette culture archéologique d’un type nouveau, car entièrement polyethnique, dépasse donc largement le cadre tribal. Elle constitue le prototype des royaumes barbares du haut Moyen Âge.

L’époque des grandes migrations et le haut Moyen Âge (dernier tiers du IVe s.-VIIe s.)

En 375, l’invasion des steppes d’Europe orientale par les Huns, venus de la région de la Volga, provoque un déséquilibre des forces politiques du monde barbare. Elle déclenche les premières migrations qui vont profondément changer la carte politique et ethnique de l’Europe. Les Germains orientaux prennent une part active à la première phase des grandes migrations (entre 375 et 454), de telle sorte que, dans les années soixante du Ve siècle, ils sont dispersés sur un vaste territoire allant du Caucase septentrional, à l’est, jusqu’à l’Espagne et l’Afrique du Nord, à l’ouest.

Malgré le passage des Huns, les cultures archéologiques de la période antérieure subsistent encore en Europe orientale à la fin du IVe siècle et dans la première moitié du Ve siècle. Ainsi, les sites des phases finales des cultures de Wielbark, Przeworsk, Debczyno, Luboszyce et face="EU Caron" アernjahov, datés de la première moitié du Ve siècle, bien que moins nombreux, n’attestent pas de changement radical par rapport à l’époque romaine. D’autre part, des objets isolés issus de ces cultures (des fibules et des peignes en os par exemple) apparaissent simultanément dans la région de la mer d’Azov, en Crimée, dans la péninsule balkanique, sur le Danube moyen, sur le territoire de l’Allemagne actuelle, en Gaule et, dans une moindre mesure, en Espagne et en Italie. Ces objets, découverts sur des sites occupés par la population locale, témoignent certainement des contacts qu’elle entretenait avec les Germains orientaux et, dans certains cas, ils indiquent les trajets que ceux-ci ont suivi dans leurs migrations. Enfin, à cette époque apparaît une nouvelle mode adoptée par l’aristocratie des Germains orientaux. Elle prend naissance dans la région danubienne où se trouve, au Ve siècle, le centre de l’empire d’Attila et elle doit sa propagation rapide, en particulier chez les Germains, au prestige dont jouissent alors les Huns. L’aristocratie des Germains orientaux, assujettie dans sa majorité aux Huns, contribue beaucoup à la formation et à la diffusion de la mode danubienne. Parmi les objets qui la caractérisent, on doit mentionner de grandes fibules ansées (pl. 2, 1), de grandes plaques boucles (pl. 2, 3, 4), ainsi que quelques nouveaux types d’armes et d’éléments de harnachement (pl. 2, 6, 7). Ils portent fréquemment un décor d’orfèvrerie polychrome (cf. planche couleur I, 1); le plus souvent des almandines rouges sur un fond doré. La déformation crânienne artificielle, une coutume d’origine sarmate adoptée dans la région danubienne, se propage également parmi les Germains orientaux. Les tombes princières semblables à celle d’Untersienbenbrunn ou les trésors tels que すimleul-Silvaniei constituent les manifestations les plus remarquables de la mode danubienne. Vers le milieu du Ve siècle, cette mode évolue: sur le territoire des Germains orientaux, à l’est du Danube moyen, on trouve alors les riches tombes du type Smolín qui contiennent des grandes fibules (cf. supra planche noir et blanc 2, 2) et des plaques-boucles, mais avec un décor plus austère, sans orfèvrerie polychrome. À partir de la seconde moitié du Ve siècle, les objets caractéristiques de la mode danubienne, réservés à l’aristocratie, seront largement imités par le reste de la population. Ils contribueront donc à la formation de la culture germanique de l’époque postérieure.

Vers la fin du Ve siècle, en raison des grandes migrations, les Germains orientaux ont quitté les zones steppiques et forestières de l’Europe orientale et s’installent tous dans la zone méditerranéenne ou dans la région du Danube (carte). Les Goths Tétraxites, au nord-est de la mer Noire, ont laissé la vaste nécropole de Djurso ainsi peut-être que des objets de caractère germanique dans la ville de Kertch. D’autres Goths peuplent alors le pays de Dori, au sud-ouest de la Crimée: leur présence est attestée par les nécropoles du type Suuk-Su. Les sources écrites rapportent l’installation, au nord de la Bulgarie actuelle, des Goths minores mais, à ce jour, leurs traces archéologiques n’ont pas encore été décelées. Les Gépides vivent dans les Carpates, à l’est du Danube moyen, ce dont témoignent de nombreux sites et en particulier les tombes princières d’Apahida. Parmi les voisins des Gépides dans la région danubienne, on citera encore d’autres Germains orientaux: les Skires, les Ruges et les Hérules. Une série de découvertes comme les tombes de Kosino, Karavukovo et Bakodpuszta et celle, princière, de Blu face="EU Caron" カina, se rapportent peut-être à ces peuples. Quand aux Ostrogoths, après avoir occupé la Pannonie (à l’ouest du Danube moyen), ils s’installent en Italie et dans l’Illyricum. Dans ces régions, leur culture est représentée par des nécropoles, des tombes isolées (Aquasanta, Otvöspuszta, Kasi face="EU Caron" カ, Miszla) ou par des trésors (Desana, Domagnano). On ne possède pratiquement pas de trace archéologique des Wisigoths à l’époque du royaume de Toulouse. En revanche, en Espagne, à partir de la fin du Ve siècle, ils ont laissé les nécropoles du type Duraton. L’archéologie des Burgondes en France est mal connue. On peut néanmoins attribuer à l’époque burgonde quelques tombes à l’est de la France: celle de Balleure ou les parties les plus anciennes des nécropoles de Brochon et de Charnay. Au Ve siècle, les Vandales occupent l’Afrique du Nord où de riches tombes comme Tuburbo-Majus, Kudiat-Zateur ou Bona leur appartiennent.

À partir de la seconde moitié du Ve siècle, on observe en fait, chez les Germains orientaux, deux types de sociétés. Les Gépides des Carpates, à l’est du Danube moyen, et les Goths du sud-ouest de la Crimée forment une population homogène, et l’on peut saisir les différents aspects de leur culture archéologique. En revanche, pour la plupart des Germains orientaux – Vandales, Burgondes, Ostrogoths et Wisigoths – qui vivent sur le territoire de l’ancien Empire romain, la situation est différente. Ils n’ont laissé que des sites funéraires ne donnant qu’une image très incomplète de leur culture. Ce sont des militaires qui constituent généralement la classe dirigeante de la société. De ce fait, ils sont pratiquement exclus de toute activité économique et, en particulier, de la fabrication des objets. Ils utilisent dans leur vie quotidienne du matériel fabriqué par des artisans locaux, selon des traditions qui leur sont étrangères. Seuls certains objets exécutés sur commande, comme les éléments du costume, les armes et la vaisselle d’apparat peuvent révéler leur goût. Et précisément, ces objets présentent chez tous les Germains orientaux (y compris les Gépides des Carpates et les Goths de Crimée) une certaine unité. Ainsi, le costume féminin, connu d’après les inhumations habillées et particulièrement révélateur des traditions d’une ethnie, comporte toujours: deux fibules sur les épaules (pl. 2, 9-11, 17, 19, 21, 23, 25), une grande plaque-boucle sur la ceinture (pl. 2, 12, 16, 18, 20, 24) et un collier de perles autour du cou (pl. 2, 29). Parmi les techniques couramment utilisées pour le décor des éléments métalliques du costume, il convient de citer la taille biseautée et le cloisonné. Les motifs zoomorphes jouissent d’une grande faveur. Les sites des Germains orientaux du haut Moyen Âge ont livré des armes d’apparat: épées à décor cloisonné (pl. 2, 8), selles décorées de plaques métalliques (pl. 2, 22) et casques du type Baldenheim portant plusieurs bandes métalliques (pl. 2, 13). Certains objets sont propres à tel ou tel peuple: les Gépides portent de grandes plaques-boucles ornées d’une seule tête d’aigle (pl. 2, 12) alors que les plaques-boucles à deux têtes d’aigle se trouvent surtout chez les Ostrogoths.

Il convient enfin d’examiner quelles sont les caractéristiques archéologiques des derniers Germains orientaux ayant occupé des régions entières où ils constituaient la majorité de la population. Les Gépides, à l’est du Danube moyen, ont laissé, outre des nécropoles avec des tombes disposées de façon régulière, en rangées (More ずti, Szentes-Nagyhegy, Szentes-Berekhát), des habitats non fortifiés (Tiszafüred) et d’autres, abrités par des remparts en pierre, remplois de l’époque antérieure (More ずti). Sur ces habitats, les bâtiments à sol excavé possèdent des murs en bois (pl. 2, 27, 28). Les outils agricoles (à Kiszombor, par exemple) et les ossements d’animaux domestiques témoignent du développement de l’agriculture et de l’élevage. La production artisanale des Gépides (céramique tournée, bijoux, armes) se distingue par sa qualité. Les objets danubiens sont d’ailleurs largement imités par les autres Germains orientaux, notamment par les Goths de Crimée et du nord du Caucase (comparer par exemple pl. 2, 12 et pl. 2, 24). Contrairement à ce qui avait été constaté pour les Germains orientaux de l’époque romaine, les pratiques funéraires permettent de discerner chez les Gépides une stratification très nette de la société. Outre les tombes aristocratiques du type de celles d’Apahida, dotées d’un mobilier d’une richesse comparable à celle de la sépulture royale de Childéric en Gaule, on a mis au jour des tombes contemporaines qui appartiennent à une aristocratie d’un rang moins élevé (Ermihalyfalva, par exemple). D’autre part, au VIe siècle, on distingue différents types de tombes de guerriers. Les tombes de chefs militaires ont livré des épées, des boucliers, des lances et plus rarement des casques. Parmi les tombes de guerriers «ordinaires» (10 à 12 p. 100 des tombes sur les nécropoles), certaines contenaient un armement «lourd» (une lance et un bouclier, une épée et un bouclier ou, plus simplement, une épée ou un bouclier; pl. 2, 14, 26), et d’autres un armement «léger» (une lance seule, un arc avec des flèches). On ignore s’il s’agit de l’armement réel que les guerriers portaient durant les combats ou s’il reflète les pratiques funéraires. Quoi qu’il en soit, l’inégalité entre les personnages ensevelis dans ces tombes est évidente. Les tombes des Goths du sud-ouest de la Crimée ne montrent pas quant à elles une telle disparité. Les caveaux familiaux des nécropoles du type Suuk-Su possèdent en effet un mobilier assez uniforme.

Les royaumes des Ostrogoths et des Vandales sont conquis au milieu du VIe siècle par les Byzantins et disparaissent alors. Puis, au cours du VIIe siècle, presque toutes les autres cultures des Germains orientaux sont anéanties. Dans les régions danubienne et balkanique, l’expansion des Slaves et des Avars en est la cause. Au nord du Caucase et en Crimée orientale, les Germains sont assimilés par les Turcs nomades. Quant aux Goths du sud-ouest de la Crimée et d’Espagne, leur culture perd son aspect germanique et prend au VIIe siècle un caractère de plus en plus méditerranéen, «byzantinisé». On assiste alors à une fusion progressive avec la population locale, hispano-romaine dans les Pyrénées et hellénisée en Crimée. Des groupes de Goths isolés conserveront bien, au moins jusqu’au XVIe siècle, une langue germanique, mais dès la fin du VIIe siècle leur culture ne livre plus aucun élément germanique que l’on puisse déceler grâce à l’archéologie.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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